Fr: Livre blanc de la laicite

Aus Freimaurer-Wiki


Livre Blanc.jpg

Introduction

A notre Frère Xavier Pasquini


La laïcité est un concept relativement récent puisque, sous sa forme actuelle, elle est institutionnalisée en France depuis 1905. Elle est encore bien souvent incomprise à l'extérieur de nos frontières, à tel point que le mot, intraduisible dans la plupart des autres langues, est souvent utilisé « en français dans le texte ».

Il est donc apparu utile, sinon d'en donner une définition définitive, d'en exprimer les contours, de l'expliquer, d'en évaluer les origines, les implications modernes et l'avenir.

La laïcité s'appuie sur deux piliers: l'éthique (la liberté absolue de conscience) et le statut civique (séparation des Eglises et de l'Etat).

Elle établit strictement la différence entre deux univers distincts : l'intérêt général et la conviction individuelle.

Par ailleurs, il est devenu indispensable de reconnaître "l'existence d'une réelle bigarrure culturelle", qui ne peut que s'accentuer avec l'intégration à l'Europe de nations de plus en plus diverses. La question est de savoir comment nous pourrons gérer cette diversité. tout en maintenant notre conception de l'universalité républicaine. Enfin, le doute identitaire, la crainte de perdre son âme et sa propre identité, nourrissent toutes les formes d'intégrisme (ethnique, culturel, religieux surtout), qui voient dans la laïcité, non pas un choix de société et la condition de la paix sociale, mais un risque supplémentaire de dissolution de cette identité.


La laïcité est une règle de vie en société démocratique. Elle impose que soient donnés aux hommes, sans distinction de classe, d'origine, de confession, les moyens d'être eux-mêmes, libres de leurs engagements, responsables de leur épanouissement et maîtres de leur destin.

I. L 'histoire - Spécificité française

La revendication laïque s'est essentiellement développée là où une église, en l'occurrence ici l'Eglise catholique romaine, a voulu imposer un pouvoir totalitaire au sens strict, c'est-à- dire englobant tous les aspects de la société civile, politique, écono-mique, en fait là où la religion est devenue pouvoir.

Face à ce pouvoir se sont manifestées des velléités successives de libération tantôt politique, tantôt spirituelle ou les deux à la fois. Au Moyen-Age, c'est à l'intérieur de l'Eglise catholique que naissaient ces mouvements vite qualifiés d'hérétiques et rapidement étouffés. Des premiers réformateurs aux philosophes du XVllle siècle, l'idée a évolué, restant cependant associée à un double mouvement émancipateur :

  • celui de la pensée libre s'affranchissant peu à peu des croyances obligatoires ;
  • celui d'une société revendiquant des libertés politiques.


Face à cela, l'Eglise catholique, dirigée par une papauté accrochée à un pouvoir temporel que ne lui reconnaissent même pas ses textes fondateurs, s'est au contraire enfermée de plus en plus dans un refus total, une négation définitive de tout mouvement émancipateur. En France, l'alliance plus que millénaire entre "le Trône et l'Autel" a rendu inévitable la contestation religieuse à partir du moment où se développait la contestation politique.

Dans cet état d'esprit, les philosophes du XVllle siècle, animés par l'esprit des Lumières, mènent un double assaut idéologique contre les deux formes de l'absolutisme, royal et religieux. La revendication de la liberté de penser et la référence à la Raison radicalisent ce mouvement parfaitement illustré par Condorcet.

Au XIXe siècle, la formation progressive de l'idée républicaine, son ancrage sur la plate-forme des libertés révolutionnaires, du progrès social, de la libération des esprits de toutes les formes d'obscurantisme, a apporté la dernière touche à cette évolution.

La séparation des Eglises et de l'Etat aurait pu être le symbole de l'achèvement d'une étape essentielle si elle n'avait été, depuis, constamment remise en question, de façon directe ou non, par les attaques de tous ceux qui restent persuadés que l'homme est incapable d'assumer pleinement les effets de sa liberté absolue de conscience.

Si, dans l'histoire de notre pays, tous les grands combats pour la liberté et la justice furent porteurs de l'exigence de laïcité, toutes les périodes de réaction virent par opposition le retour de la domination religieuse. La dictature vichyste - dont certaines conséquences, 50 ans après, n'ont toujours pas été liquidées - en a été le dernier exemple.

Renaissance, Réforme, Révolution, République: ces différentes étapes de la formation de l'idée laïque ont donné au citoyen français du XXe siècle une place particulière dans l'Europe en construction. Le problème qui se pose à lui à l'heure actuelle est clair :

  • ou il renonce à cette spécificité et il abandonne à terme l'énorme progrès qu'il a accompli, peut être plus vite que d'autres, au cours des siècles passés ;
  • ou il est persuadé que l'idée laique, loin d'être un frein à l'intégration européenne peut être au contraire un énorme levier d'accélération de la marche à l'unité.

II. Les valeurs laïques

L'humanisme laïque repose sur le principe de la liberté absolue de conscience.

Liberté de l'esprit : émancipation à l'égard de tous les dogmes ; droit de croire ou de ne pas croire en Dieu ; autonomie de la pensée vis-à-vis des contraintes religieuses, politiques, économiques; affranchissement des modes de vie par rapport aux tabous, aux idées dominantes et aux règles dogmatiques.

La laïcité vise à libérer l'enfant et l'adulte de tout ce qui aliène ou pervertit la pensée, notamment les croyances ataviques, les préjugés, les idées préconçues, les dogmes, les idéologies opprimantes, les pressions d'ordre culturel, économique, social, politique ou religieux.

La laïcité vise à développer en l'être humain, dans le cadre d'une formation intellectuelle, morale et civique permanente, l'esprit critique ainsi que le sens de la solidarité et de la fraternité.

La liberté d'expression est le corollaire de la liberté absolue de conscience. Elle est le droit et la possibilité matérielle de dire, d'écrire et de diffuser la pensée individuelle ou collective. Les nouvelles techniques de communication rendent cette exigence encore plus vitale. Et dans ce domaine de l'information et de la communication plus qu'ailleurs, la vigilance doit être particulière face aux énormes moyens de manipulation et de perversion de la pensée. La morale laïque qui en découle est simple. Elle repose sur les principes de tolérance mutuelle et de respect des autres et de soi-même. Le bien, c'est tout ce qui libère, tout ce qui affranchit ; le mal, c'est tout ce qui asservit ou avilit. La laïcité vise dans ce contexte à donner les moyens à l'homme d'acquérir une totale lucidité et une pleine responsabilité de ses pensées et de ses actes.

Fondée sur les nécessités de la vie en société et la promotion de la liberté individuelle, elle est essentielle dans la construction de l'harmonie sociale et pour le renforcement du civisme démocratique. Elle tend à instaurer, par-delà les différences idéologiques, communautaires ou nationales, une société humaine favorable à l'épanouissement de tous, société d'où seront exclus toute exploitation ou conditionnement de l'homme par l'homme, tout esprit de fanatisme, de haine ou de violence. Certes, la tolérance est la conséquence logique des valeurs précédentes, faute de quoi l'harmonie sociale est mise en péril. Mais la tolérance n'a de sens que si elle est mutuelle, et elle aura tou-jours pour limites l'intolérance, le refus de l'autre, le racisme et le totalitarisme. Le refus du racisme et de la ségrégation sous toutes ses formes est inséparable de l'idéal laïque.

La société nouvelle que nous voulons ne peut pas être la simple juxtaposition de communautés qui, au mieux s'ignorent, au pire s'exterminent. Aucune socié-té de paix ne peut se construire sur la séparation définitive de groupes culturels, linguistiques, religieux, sexistes ou autres. Le passage est trop facile de séparation à ségrégation, à rivalités et conflits. Et ce, même si la séparation est présentée comme une nécessité vitale de développement.

L'idéal laïque ne peut en aucun cas s'accommoder de l'idée de " développement séparé " souvent pratiqué dans des sociétés de type anglo-saxon. Le principe même de "discrimination positive" ne saurait constituer en soi une solution à la libération d'un grou-pe. Le seul moyen de développement social est l'intégration différente de l'assimilation la participation de tous à une collectivité de citoyens libres et égaux en droits et en devoirs. Les seuls groupes sociaux acceptables reposent sur le choix, la libre appar-tenance et l'ouverture. L'éthique laïque mène enfin inévitablement à la justice sociale : égalité des droits et égalité des chances. L'éducation laïque, l'école, le droit à l'information, l'apprentissage de la critique sont les conditions de cette égalité.

III. Les pratiques laïques - Un statut civique et social

Au-delà des principes, la laïcité est une attitude dont les champs d'application recouvrent tous les aspects de la société. Le principe de ce statut civique, juridique, institutionnel, est simple. Il repose sur la distinction claire, pour chaque citoyen, entre une sphère publique et une sphère privée :

  • La sphère privée, personnelle, celle de la liberté absolue de conscience, et où

s'expriment les convictions philosophiques, métaphysiques, les croyances, les pratiques religieuses éventuellement et les modes de vie communautaires.

  • La sphère publique, citoyenne, celle où le citoyen évolue socialement,

économiquement, politiquement, juridiquement. Les règles en sont clairement définies et basées sur les Droits de l'Homme. Aucun groupe, aucun parti, aucune secte, aucune égli-se, ne peut prétendre pénétrer, a fortiori capter à son profit, le fonctionnement de la société républicaine ainsi définie.

La séparation des Eglises et de l'Etat est la pierre angulaire de la laïcisation de la société. Elle ne saurait souffrir ni exception, ni modulation, ni aménagement. Sa totalité, son intégralité sont la condition de son existence même. Elle est la seule façon de permettre à chacun de croire ou de ne pas croire en libérant les églises elles-mêmes des logiques de liaisons conventionnelles avec l'Etat. Si les églises veulent exister, que les fidèles leur en fournissent les moyens, la religion étant affaire de conviction personnelle. Si l'Etat garantit la totale liberté des cultes comme de l'expression et de la diffusion de la pensée, il n'en favorise aucun, ni aucune communauté, pas plus financièrement que politiquement. Bien plus, il n'appartient pas à l'Etat de réguler les relations entre les églises à partir du moment où il n'en reconnaît aucune. Dans le cadre général de ses attributions politiques, il veille à l'exercice des libertés individuelles de chacun, à l'ordre public et à l'harmonie sociale entre les citoyens.

A partir du moment où l'Etat considère que la religion est définitivement devenue une affaire privée, qu'elle n'est susceptible d'attirer son attention que dans la seule mesure où ses manifestations porteraient atteinte à l'ordre public, en toute logique, les églises ne peuvent revendiquer aucun avantage, aucun privilège, aucun traitement particulier. Elles peuvent encore moins être dotées de statuts officiels en dehors du respect de la loi commune régissant la liberté d'association. Enfin la loi républicaine ne saurait par conséquent reconnaître le délit de blasphème ou de sacrilège qui déboucherait inévitablement sur l'institutionnalisation de la censure.


La première manifestation du caractère laïque d'un pays est l'indépendance de l'Etat et de tous les services publics vis-à-vis des institutions ou influences religieuses. La laïcisation des statuts individuels, comme des services considérés indispensables au fonctionnement de la société, a été un des aspects essentiels de l'exercice de la liberté et de l'égalité des droits :

  • Naissance, vie et mort sont considérées non plus uniquement sous l'angle de

la religion ou de l'appartenance communautaire, mais sous celui de la liberté individuelle.

  • On note l'égalité de tous devant les services publics. L'éventuelle appartenance à

un groupe religieux, ethnique, social..., ne peut être prise en compte en ce qui concerne l'accès des usagers. La mention officielle de cette appartenance doit être considérée comme discriminatoire. Il apparaît de plus évi-dent que la notion même de service public est étroitement liée à la pratique de la laïcité.

  • La loi civile est seule habilitée à organiser les domaines de la vie civique et sociale.

Les représentants de la République, élus ou fonctionnaires, respectent en contrepartie dans l'exercice de leur fonction une absolue neutralité vis-à-vis des pratiques individuelles ou collectives et observent une stricte obligation de reserve.

  • L'école laïque et républicaine enfin, doit être préservée de toute pénétration

économique, confessionnelle ou idéologique, même déguisée sous des dehors dits "culturels ". L'école n'est pas le lieu de manifestation, voire d'affrontement des différences; elle est " un lieu où sont suspendus, d'un commun accord, les particularismes et les conditions de fait". L'école doit proscrire toute forme de prosélytisme.

Tout ce qui précède ne veut pas dire que la République nie les appartenances communautaires. Elles existent de fait et sont respectables pour autant qu'elles ne remettent pas en cause les principes de liberté individuelle, de dignité humaine et d'égalité. IV. L'avenir - Des champs d'application nouveaux Dans un monde caractérisé par le plus profond bouleversement de structures économiques, politiques, sociales et culturelles qu'on ait connu depuis des siècles, la laïcité apparaît comme la réponse à cette interrogation fondamentale: que faire pour remédier à l'inquiétude, à l'angoisse, à l'indifférence, à l'aban-don de la notion de responsabilité, à la violence ?

Dans une société de plus en plus multiculturelle, la laïcité peut apprendre aux individus à coopérer, à trouver les modalités d'une bonne entente et à harmoniser leurs différences. Nous avons déjà décrit les dangers du communautarisme. Nous voyons le nationalisme se développer à nouveau en Europe en s'alimentant des haines religieuses et ethniques. La laïcité reste la seule idée susceptible de ramener les conditions d'une paix durable, dans les Balkans notamment.

Il reste encore beaucoup à faire, dans l'Union européenne elle-même, où très rares sont les pays comportant des dispositifs politiques et juridiques se rapprochant du système laïque français ou pouvant évoluer dans ce sens. Les logiques concorda-taires restent, en matière de religion, largement dominantes. Quelques signes cependant nous incitent à penser que l'évolution est possible : modification de la loi sur la nationalité en Allemagne, interrogations de plus en plus nombreuses dans ce même pays sur la fiscalité religieuse... En France même, l'idée de laïcité est loin d'être universellement acceptée. Elle doit encore être défendue et étendue :

- La séparation des Eglises et de l'Etat subit encore trop de restrictions géographiques inadmissibles (Alsace-Moselle, Guyane, TOM). - L'intervention de plus en plus fréquente de l'appareil judiciaire pour régler notamment des problèmes liés à des pratiques communautaires (port du voile islamique dans les écoles par exemple), est inquiétante. C'est à la République de définir les mesures unitaires et de s'y tenir. La vie en société ne saurait se résoudre à l'établissement d'une jurisprudence des pratiques et des relations intercommunautaires. Il y a une dérive communau-tariste «à l'américaine » extrêmement grave qui remet en cause les fondements de notre société républicaine. - Les progrès de la science doivent pouvoir être libérés de toute influence des groupes de pression, notamment religieux. L'intérêt général et le respect de la personne humaine doivent être les seuls cadres de ce progrès. - La laïcisation du « statut des corps » (amour et sexualité, mort, maladie) n'est pas terminée. La libre disposition de son corps, les modalités sociales de la vie des couples et des familles, les garanties fondamentales des libertés dans ce cadre, les droits et la dignité des enfants, sont autant de champs d'application d'une laïcité seule garante de la liberté des esprits et des corps. - Dans la composition des comités d'éthique qui sont créés ici ou là, il importe de privilégier le choix des membres en fonction de leur compétence et non de leurs convictions. Le but de ces comités n 'est-il pas de veiller aux conditions nécessaires et suffisantes à l'exercice des libertés et au respect de la dignité humaine, plu-tôt que d'essayer de maintenir des équilibres savants entre des communautés rivales ? - Enfin, la culture et la création artistique, mais aussi l'information et la communication participent largement à la formation des consciences qui n'est plus réservée à l'école. Il conviendrait là aussi de veiller constamment, non seulement à ce qu'aucun tabou religieux ou dogmatique, mais aussi aucun groupe de pression économique ou idéologique ne puisse imposer une quel-conque limitation à la liberté, par exemple en étouffant économiquement la vitalité des expressions minoritaires. C'est au nom de la laïcité qu'il faut aussi bien dénoncer l'A.M.I (Accord Multilatéral d'Investissement) ou ses dérivés que toutes les formes de pensée unique. En guise de conclusion La laïcité n'est pas une notion passéiste mais au contraire une idée de progrès, et de multiples champs d'application s'ouvrent devant elle. La laïcité est devenue institutionnelle. Elle est un cadre légal, une règle du jeu. Ses règles sont applicables à l'ensemble du corps social et elle n'est pas le résultat de contrats évolutifs entre des communautés ou des groupes. Il n'y a enfin qu'une seule laïcité qui ne saurait être qualifiée: elle ne peut être ni "nouvelle", ni " plurielle ". La laïcité est une notion qui repose sur des principes humanistes forgés au cours de l'histoire. Elle est une affirmation forte de sens et de valeur au service de la liberté individuelle. Elle est le plus sûr garant de la paix civile. Elle porte en elle une morale person-nelle et une éthique sociale. Elle est action et volonté, voire résis-tance; résistance à la facilité du renoncement, au confort de la pensée unique.